Chroniques de demain

11 juillet 2023 | Épisode 9
Successions internationales en UE et hors UE, un casse-tête pour les FDE

Les „DERNIÈRES NOUVELLES DE DEMAIN“ des Français de l’Étranger

Français à part entière ou… Français entièrement à part?
… plutôt des Français soit oubliés soit traités entièrement à part, comme nous allons le voir au fil des épisodes.

Les successions revêtent un caractère international soit parce que le défunt possède une nationalité autre que celle du pays de résidence soit parce que les biens sont situés dans des pays autres que celui de la résidence du défunt.

Le règlement européen (n°650/2012) entré en vigueur le 17.8.2015 2015, a voulu simplifier au niveau juridique le droit successoral (la fiscalité demeurant établie selon les règles de chaque État, règles de droit interne ou conventions internationales) en lui conférant un caractère universel. Auparavant quand une personne décédait, alors qu’elle avait des intérêts dans plusieurs pays, le droit des successions de chaque pays s’appliquait cumulativement. Pour compliquer l’affaire, les règles de conflits des lois se résolvaient différemment selon les pays concernés.

Tous les biens qui composent la succession d’un résident de l’Union sont donc, à présent, soumis à une seule et même loi: celle du pays de résidence en UE.

Toutefois, sur option, la loi de sa nationalité peut s’appliquer en faisant une «professio juris» via un testament international auprès d’un notaire spécialisé.

À noter que le règlement UE s’applique de la même façon aux héritiers résidant hors UE avec toutefois des possibilités de conflits de loi.

Quelles sont les limites de ce droit successoral européen visant à la simplification?

  • Trois pays européens ne l’ont pas signé: Danemark, Royaume-Uni et Irlande et il n’y a plus de convention avec la Suisse depuis le 17.06.2014;
  • Mais la principale limite de ce règlement est qu’il est européen. À l’égard des États tiers son efficacité s’estompe;
  • Certains mécanismes français (donation-partage, donation au dernier vivant, réserve héréditaire…) ne sont pas reconnus dans tous les pays. Leur efficacité ne sera pas totale en cas d’application d’une loi étrangère à la succession.

Ce règlement européen ne régit que la loi civile applicable à la succession et pas son aspect fiscal. D’où l’intérêt de choisir par testament près d’un notaire spécialisé le lieu de sa succession, soit le pays de résidence habituelle soit le pays de sa nationalité en en ayant évalué, à l’avance, tous les aspects, en particulier les aspects fiscaux en tenant compte des conventions éventuelles*.
* Il existe 37 conventions fiscales internationales relatives aux successions conclues avec les pays suivants: Algérie, Allemagne, Arabie Saoudite, Autriche, Bahreïn, Belgique, Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Canada, République Centrafricaine, Congo, Côte d’ivoire, Emirats Arabes Unis, Espagne, Etats-Unis, Finlande, Gabon, Guinée, Italie, Koweït, Liban, Mali, Maroc, Mauritanie, Monaco, Niger, Nouvelle Calédonie, Oman, Portugal, Qatar, Royaume-Uni, Saint Pierre et Miquelon, Sénégal, Suède, Togo, Tunisie.

Il faut se poser et répondre à deux ordres de questions l’une juridique, l’autre fiscale:

  • Juridique: quelle est la loi nationale qui déterminera les droits des héritiers et le partage du patrimoine? Il conviendra de regarder le droit interne des pays concernés, chaque pays ayant ses propres règles de dévolution conforme à la loi. La part réservataire (revenant aux enfants) peut ne pas être la même voire être inexistante.
  • Fiscal: quels impôts les héritiers devront-ils payer et dans quel pays? En termes d’impôts appelés  «droits de succession» en France, les impôts que devront payer les héritiers est une question épineuse. En effet, ce ne sont pas 2 mais au moins 4 pays qui pourraient taxer le patrimoine à transmettre:
    – le pays de résidence au moment du décès,
    – le pays de nationalité,
    – le ou les pays de résidence des héritiers,
    – le ou les pays où se situent les biens qui font partie de la succession.

Les règles civiles et fiscales étant très différentes d’un pays à un autre, les règles des conventions fiscales devant être respectées, une analyse complète de la situation (familiale, matrimoniale et patrimoniale) est nécessaire. L’accompagnement d’un expert (avocat, notaire, conseiller en gestion de patrimoine spécialisé à l’international) s’avère indispensable pour déboucher sur la rédaction d’un testament mûrement réfléchi.

Les difficultés de l’interprétation du droit international sont très bien illustrées par l’exemple de la loi du 1.11.2021 instaurant un nouveau droit de prélèvement compensatoire c’est-à-dire la garantie de l’efficience de la réserve héréditaire prévue par le droit français (nouvel alinéa 3 de l’article 913 du Code Civil). L’objectif initial de ce droit de prélèvement, instauré à l’initiative de Marlène Schiappa, alors Secrétaire d’État chargée de l’Égalité entre les femmes et les hommes et de la lutte contre les Discriminations, était de veiller à l’égalité filles-garçons devant l’héritage, et notamment, de limiter l’application du droit musulman en la matière. Cela partait d’un bon principe: ne pas pouvoir discriminer un héritier selon son sexe et ne pas pouvoir déshériter totalement un enfant. Malheureusement, à la lecture du texte voté, on ne peut que constater un grand raté par rapport au but recherché. Loin d’empêcher l’application du droit musulman dans les cas initialement visés, il vient en plus mettre en péril la sécurité juridique de nombreuses planifications patrimoniales établies sous l’application d’un droit de Common Law (le droit du Royaume-Uni, de la majorité des États des États-Unis, de Singapour ou de l’Australie). Sa formulation malheureuse a en effet compliqué la situation laissant planer de graves incertitudes juridiques. C’est pour cela que ce paragraphe avait été retoqué par le Sénat mais adopté ensuite par l’Assemblée Nationale en 2e lecture. Cet article s’applique désormais à toutes les successions ouvertes depuis le 1er Novembre 2021. Il promet des situations ubuesques dès lors qu’un élément d’extranéité s’invitera au bal…

Attendez-vous donc à

  • ce qu’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) soit posée un jour à ce sujet dans le cadre d’une succession internationale;
  • ce que la question de la compatibilité du prélèvement compensatoire avec le règlement (UE) n° 650/2012 du Parlement européen et du Conseil du 4 juillet 2012, relatif à la compétence et à la loi applicable soit également posée… Ce serait alors à la Cour de Justice de l’Union européenne de statuer.

À bientôt pour un prochain épisode des Dernières nouvelles de demain des FDE!